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décembre 1, 2024
Ndokoti 2

À gauche, le Carrefour de Ndokoti à son image habituelle et à droite, le Maire de la ville de Douala, Roger Mbassa Ndine

Elle se passe en 1988 à Douala. Henri Bandolo, grand journaliste est nommé Directeur général adjoint de la Sopecam. Avant cette nomination, il était entre autres activités, correspondant local du magazine Africa. Ce magazine était la propriété de Joël Décupère, un Français établi à Dakar où sa femme, une Sénégalaise tenait une pharmacie.

Joël Décupère fait mille choses à la fois. Il estime qu’Africa ne lui rapporte pas l’argent qu’il aurait souhaité gagner.  Il décide alors d’ « africaniser » la direction de ce magazine qui par ailleurs, caressait l’ambition de détrôner son concurrent Jeune Afrique de son emprise sur l’Afrique francophone. Henri Bandolo s’entretient avec Joël Décupère lors de son passage à Yaoundé. Il dit à son interlocuteur : « Mes responsabilités actuelles ne me permettent plus de consacrer le temps nécessaire à Africa. Je te propose d’accepter de me faire remplacer par un jeune journaliste bien formé, sérieux, qui a ma confiance… » . Ce jeune journaliste qui a la confiance de l’éminent Henri Bandolo, c’est moi. Joël Décupère acquiesce. Il décide néanmoins de me tester. Il me passe la commande de deux articles de société :

1 – La nouvelle route Yaoundé – Douala (axe lourd) est en circulation depuis quelque temps. Que va-t-elle changer du quotidien des populations habitant de part et d’autre de sa trajectoire ? Quid des habitudes des routiers ?

2 – Comment vit-on à Douala, de jour comme de nuit ?

Henri Bandolo, icône du journalisme
au Cameroun, mort en 1997

Pour le deuxième sujet, au terme d’une collecte d’informations qui aura duré 4 jours dans la ville, je sollicite un entretien avec le Délégué du gouvernement de l’époque. Il s’appelait Christian Tobie Kuoh. C’était un aristocrate local doté de bonnes manières. Il avait la tenue vestimentaire stricte et impeccable, copiée du style britannique. Il ôtait rarement de sa tête ronde son chapeau noir aux bords remontés.

« Je n’ai pas besoin de salaire »

Lorsque Christian Tobie Kuoh me reçoit dans son bureau au premier étage d’un long bâtiment colonial au quartier Bonanjo, il répond à ma première question en me posant plutôt la sienne : « Pouvez-vous avoir une idée de mes revenus à Douala ? » Je réponds par la négative. Il m’éclaire :

« L’immeuble le plus haut qui surplombe l’avenue Ahmadou Ahidjo au quartier Akwa est à moi. Sa location me rapporte 15 millions de francs par mois. Ce n’est pas tout ce que j’ai dans la ville. Je n’ai pas besoin de salaire pour le travail que je fais dans cette ville qui m’a vu naître. Je voudrais seulement faire de Douala une ville moderne afin qu’on se souvienne de moi… Ma première préoccupation ici est de faire drainer vers le Wouri, la nappe d’eau souterraine sur laquelle la ville repose. Quand il pleut abondamment, la ville devient insupportable. Curer le sous-sol de Douala est une opération longue et coûteuse. J’ai des relations, notamment au Canada ; là-bas, un consortium est disposé à financer les études, les travaux de curage du sous-sol de Douala. Mais la mairie ne peut pas seule, négocier avec l’extérieur la faisabilité de cette opération. La loi camerounaise interdit à un maire de traiter ce niveau d’engagement avec l’extérieur, il faut nécessairement l’aval du gouvernement. Yaoundé fait la sourde oreille sans trop savoir pourquoi. Je ne peux rien faire sans la caution de l’Etat, voilà mon gros souci ! », Se désole Christian Tobie Kuoh. Il ôte son chapeau et essuie une larme à l’évocation des obstacles qui jonchent le chemin de ses ambitions.

Douala croît sans véritable plan d’aménagement, sans physionomie architecturale, donc sans identité culturelle. Sa population croît aussi au galop. Cette croissance engendre des maux sans solutions immédiates : les immondices envahissent les trottoirs, les bêtes et les bestioles trouvent leurs demeures dans cet environnement, parfois dans les maisons.

Ndokoti, un capharnaüm

Le vocabulaire populaire désigne Roger Mbassa Ndine de « super maire » de Douala. La décentralisation ambiante lui donne tous les pouvoirs jadis dévolus au Délégué du gouvernement. Mais, le « super maire » gère t-il pleinement son immense pouvoir ? Ses actions manquent de visibilité. Il gagnerait à travailler par objectif.

Le carrefour Ndokoti par exemple. Cette jungle immense est à cheval entre le 3ème et le 5ème arrondissement de Douala. Un à deux millions de personnes, des motos et des véhicules, des vendeurs à la sauvette, des pickpockets, tous s’agglutinent et se marchent sur les pieds à Ndokoti. Cette poudrière peut exploser à tout moment, et ses éclats n’épargneraient aucun coin de la ville.

Solutions

Imaginons Roger Mbassa Ndine réunir : architectes, urbanistes, paysagistes, environnementalistes, sociologues. Il leur passe globalement, et chacun dans son domaine, une commande en ces termes :

« Concevez au carrefour Ndokoti un rond point doté d’échangeurs, des sorties vers les quatre coins de la ville et vers des villes voisines. Créez des espaces verts, des lieux de divertissement, des comptoirs de commerce, un sous-sol parking ».

Ces études terminées, chiffrées et livrées, le « super maire » qui est par ailleurs spécialiste de la planification et de l’aménagement du territoire, programmerait la réalisation de cet ouvrage d’année en année, sur fonds propres de la mairie. En 5, voire 10 ans, cet endroit ne sera plus un dépotoir, mais plutôt un point d’attraction touristique pour toute la République, sans que la mairie de Douala ait eu recours à un emprunt extérieur du genre qui causa des tourments à Christian Tobie Kuoh. Est-ce impossible de faire cela, M. le maire ?

Un Haussmann à Douala 

Des fainéants aiment à ressasser : « Paris n’a pas été construite en un seul jour ». C’est vrai. Existe-t-il au monde une ville qui a été construite en un seul jour ? Jamais !  Le plus important c’est de constater une nécessité, de diagnostiquer sa faisabilité, puis de trouver des moyens pour concrétiser ce besoin.

Napoléon avait dit à Haussmann : « Dessinez Paris, faites-en la plus belle ville du monde ! ». Ce fut un rêve à la limite de la folie, mais il faut rêver. Paris est là, par un rêve. Le préfet de Paris avait commencé par quelque chose : les 34 ponts qui enjambent la Seine de Saint-Cloud à Melun ne furent pas construits en un seul jour. Les 12 avenues qui partent de la Place de l’Etoile pour desservir tout Paris avaient pris plusieurs décennies pour être faites. Les Grands boulevards et les périphéries aussi. Chaque maire qui arrive, poursuit l’œuvre entamée par ses prédécesseurs, jusqu’à la fin. Le plus historique des maires restera celui qui avait eu l’idée et la porta sur des fonds baptismaux.

Christian Tobie Kuoh avait eu une ambition : faire de Douala une belle ville. Son ambition fut stoppée par la bureaucratie et la cupidité des gouvernants.  Les maires qui lui ont succédé ont fait quoi de son ambition ? Rien ! Leurs noms figureront sur un présentoir chronologique, mais jamais sur le tableau du panthéon de grands hommes qui auront bâti Douala, car ils n’auront été que des personnages ordinaires, sans ambition.

Roger Mbassa Ndine, vous avez le temps de tout faire. Il vous suffit d’oser. Personne n’empêche cette légitime ambition d’oser.  La transformation de Ndokoti serait une grande ambition pour vous, un combat que celui qui l’engage ne perdra pas, car les populations l’accompagneront. Ce qui manquerait à celui-là, ce serait la volonté, l’ambition et le courage d’oser, et pourtant, il faut oser.

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