juin 16, 2025
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"l’héroïsme est parfois silencieux"

La journaliste réalisatrice de film a choisi de suivre les traces du héros Mbaye Diagne afin de rappeler cette tragédie. Christelle Avom a réalisé un documentaire de 26mn sur le capitaine Mbaye Diagne, héros du génocide rwandais en 1994, à travers les témoignages de survivants qu’il a sauvés sans arme. La présentation de ce documentaire a eu lieu le 31 mai dernier à Kigali, la capitale du Rwanda. Nous avons interrogé la réalisatrice du film.

Qu’est ce qui vous a emmené sur les traces du capitaine Ndiyae?

Je ne le cherchais pas, en réalité. Je travaillais sur un projet de recherche avec Madiambal Diagne, ancien président de l’Union de la presse francophone (UPF). Quand le nom de Mbaye Diagne s’est imposé à moi. Et plus j’en apprenais sur lui, plus il devenait évident que son histoire méritait d’être racontée. Un homme seul, sans arme, qui a sauvé des dizaines de vies pendant le génocide… C’est rare, c’est fort, et c’est essentiel pour notre mémoire collective. J’ai voulu comprendre ce qui poussait quelqu’un à braver la mort au nom de l’humanité. Le nom de Mbaye Diagne revenait sans cesse, comme une figure de courage silencieux. J’ai alors voulu comprendre, documenter, et raconter ce que peu de gens savaient de lui : son humanité dans l’indicible. Il s’agit d’une histoire qui renvoie à l’époque du génocide rwandais dans les années 1994.

Remonter jusqu’aux faits a-t-il été une tâche facile ?

Ce fut un travail long, exigeant et chargé d’émotion. Certaines personnes n’avaient encore jamais pris la parole. Il fallait beaucoup d’écoute et de respect. J’ai produit ce film en autonomie, entourée d’un cadreur, d’un monteur et de personnes engagées. L’ambassade du Sénégal à Kigali a été d’un soutien précieux, facilitant des rencontres, rendant possible la projection officielle le 31 mai dernier. C’est un travail de mémoire, mais aussi de lien entre les peuples.

Le documentaire met en avant un soldat pas comme les autres. Quel est le message que vous voudrez que l’Afrique retienne ?

Que l’héroïsme est parfois silencieux. Que chaque geste compte. Mbaye Diagne n’était pas un personnage de roman, mais un homme debout dans le chaos, prêt à risquer sa vie pour sauver celles des autres. Ce qu’il a accompli, c’est une leçon de courage, de devoir et surtout… d’amour du prochain. Dans une Afrique souvent fracturée par les discours de haine, c’est un appel fort à la responsabilité individuelle.

Le 31 mai 2025, la projection du documentaire a eu lieu au Rwanda. Comment le public rwandais a-t-il accueilli ce documentaire ?

C’était bouleversant. La salle de conférence du Kigali-Genocide- Memorial Center était remplie de survivants, d’officiels, de diplomates et de membres des forces armées. L’ambassadeur du Sénégal, Doudou Sow, a salué ce travail de mémoire et affirmé que « chaque 31 mai doit être une occasion de commémorer Mbaye Diagne ». Le représentant résident de l’ONU, Ozonnia Ojielo, a rappelé que « le génocide n’est pas seulement un échec politique, c’est un échec de l’humanité ». J’ai senti, dans les regards et les silences, que ce film avait touché quelque chose de profond.

Votre carrière de journaliste tourne t-elle désormais au cinéma ?

On verra, pour l’instant, je poursuis cette enquête, car le documentaire présenté à Kigali n’est que la première partie. Elle donne la parole aux rescapés, aux diplomates, à ceux que Mbaye Diagne a aidés, parfois sauvés. La deuxième partie est en cours de réalisation. Elle sera plus intime, plus familiale. Elle racontera l’homme à travers les yeux de sa femme, de ses enfants, de ses collègues militaires. Elle explorera ce que signifie vivre avec l’absence d’un héros, quand le monde ne connaît de lui qu’un acte de bravoure, mais pas les sacrifices silencieux de ceux qu’il a laissés derrière.
Au-delà de ce projet, j’aimerais creuser davantage les récits liés à la mémoire et à la paix. Il y a tant d’histoires africaines encore étouffées, mal racontées ou oubliées. Je veux les documenter avec justesse et humanité.
Je réfléchis aussi à créer une plateforme dédiée au journalisme de mémoire, de terrain, celui qui prend le temps, celui qui honore les silences autant que les mots. Un espace où la transmission prend sens, où les récits sont des ponts entre les peuples. C’est un journalisme plus lent, plus ancré, plus engagé que je veux désormais pratiquer. Celui qui laisse une trace, pas pour faire du bruit, mais pour éclairer.

CLAUDE SANDRA DEUTOU

*Journaliste à la CRTV, membre du bureau exécutif de la section UPF-Cameroun. Formée à l’École publique de Journalisme de Tours, certifiée en fact-checking par l’AFP..

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