NOTE DE LECTURE
A travers une synthèse de trente années de recherches menées en Afrique, en France métropolitaine et Outre-mer, l’auteur décrypte les causes de la prolifération de ces insectes vecteurs de maladies mortelles comme le paludisme, la dengue ou le chikungunya. Ce livre rigoureux, s’inscrit dans une démarche à la fois scientifique et narrative, offrant une chronique alarmée mais lucide d’un fléau sanitaire mondial.
450 ans av.J-C
Dès l’introduction, Darriet pose le cadre : l’histoire des moustiques et des Hommes est celle d’une lutte acharnée, où chaque camp déploie des stratégies pour survivre. Dès l’Antiquité, les marécages, berceaux des moustiques, étaient associés aux fièvres mortelles, comme le note Hippocrate en 450 av. J.-C., en conseillant d’éviter ces zones. L’auteur retrace l’évolution des moustiques, apparus il y a 245 millions d’années, et leur remarquable capacité d’adaptation, qui leur a permis de coloniser presque tous les milieux, des tropiques aux cercles polaires. Leur succès, explique-t-il, repose sur leur mobilité, leur reproduction rapide et leur aptitude à exploiter les environnements modifiés par l’homme.
Le premier chapitre explore cette coévolution, soulignant comment la sédentarisation des sociétés humaines, l’urbanisation et les voyages transcontinentaux ont amplifié la proximité entre l’homme et le moustique.
L’ouvrage met en lumière des faits marquants, comme la mort d’Alexandre le Grand, probablement due au paludisme, ou l’impact des « pestilences » sur les armées romaines. Darriet montre également comment la découverte tardive, à la fin du XIXe siècle, du rôle des moustiques dans la transmission des pathogènes par Patrick Manson et Ronald Ross a révolutionné la compréhension des maladies vectorielles.
Les moteurs de la pullulation
Le cœur de l’ouvrage réside dans l’analyse des facteurs favorisant l’explosion des populations de moustiques. Darriet pointe du doigt les transformations environnementales engendrées par l’activité humaine : urbanisation galopante, pollution des eaux, déforestation et agriculture intensive. Les villes, avec leurs points d’eau stagnante, sont devenues des « refuges à moustiques », tandis que l’usage combiné d’engrais et de pesticides dans les campagnes crée paradoxalement des conditions idéales pour leur prolifération. L’auteur met en garde contre l’eutrophisation des milieux aquatiques, qui, en enrichissant les eaux en nutriments, favorise le développement des larves. Un chapitre particulièrement éclairant aborde la résistance croissante des moustiques aux insecticides, un phénomène aggravé par leur surutilisation. Darriet explique comment les engrais azotés (NPK) et la matière organique en décomposition stimulent la ponte des femelles, illustrant l’ironie d’une agriculture moderne qui, en cherchant à maximiser les rendements, alimente indirectement la menace sanitaire. Le réchauffement climatique, en élargissant les aires de répartition des moustiques, aggrave encore cette dynamique, faisant craindre l’émergence de maladies dans des régions jusque-là épargnées.
Le troisième chapitre retrace les efforts humains pour contrer les moustiques, des grandes campagnes d’éradication du XXe siècle aux stratégies modernes comme les moustiquaires imprégnées ou la lutte intégrée. Darriet souligne les succès, mais aussi les limites de ces approches, notamment face à la résilience des moustiques. Il évoque des solutions innovantes, comme la modification génétique ou l’utilisation de répulsifs naturels, tout en insistant sur la nécessité d’une coordination entre santé publique et agriculture pour enrayer la pullulation.Dans les derniers chapitres, l’auteur dresse un constat alarmant : les moustiques, loin de reculer, gagnent du terrain. Il interroge la responsabilité de l’Homme dans ce qu’il nomme la « sixième extinction », où la biodiversité s’effondre tandis que les moustiques prospèrent. Ce paradoxe, où l’activité humaine favorise un ennemi aussi redoutable, est au cœur de la réflexion de Darriet. Il appelle à une mobilisation urgente pour repenser nos pratiques agricoles et urbaines, plaidant pour une approche globale et concertée.
Une lecture essentielle.
Des moustiques et des hommes est un ouvrage d’une grande richesse, qui allie rigueur scientifique et accessibilité. Frédéric Darriet, fort de son expertise, parvient à rendre palpable l’urgence de la menace tout en offrant une perspective historique et écologique éclairante. Si le ton reste mesuré, le message est clair : sans une action coordonnée, les moustiques pourraient devenir les « saigneurs » de demain. Ce livre s’adresse autant aux amateurs de sciences qu’aux décideurs, en quête de solutions face à un défi sanitaire majeur.
WILLIAM TADUM TADUM
* Chronique d’une pullulation annoncée »,
Éd.:IRD-2014, Frédéric Darriet, entomologiste médical
