décembre 18, 2024
Calixthe Beyala, écrivaine
Elle est auteure d’une vingtaine de titres en romans. Elle est lauréate du Prix de l’Académie française. C’est un personnage iconoclaste et polémiste. Les prises de position de Calixte Beyala ne laissent personne indifférente. Elle est entrée dans le débat politique au Cameroun, tournant le dos au pouvoir alors qu’on la croyait proche de celui-ci de part ses fréquentations.

PRESIDENTIELLE 2025

L’auteur du titre « Les arbres en parlent encore », pourfend fermement le régime en place par ses sorties médiatiques enflammées. Sans langue de bois, elle dénonce la gigantesque corruption et des détournements de la fortune publique à ciel ouvert ; la confiscation du pouvoir par une seule famille depuis 40 ans. Elle s’oppose avec vigueur à une manœuvre de transition au sommet de l’Etat qui se ferait de père au fils, lors de la prochaine élection présidentielle de 2025. Calixte Beyala a accepté de s’entretenir avec la rédaction de Le Calame.

Depuis quelque temps, vous faites des sorties politiques fréquentes. Êtes-vous entrée désormais en politique ?

Un écrivain est un homme politique. Ou encore les hommes politiques sont des écrivains sans talent qui font de la politique. Tous les écrivains des Lumière étaient aussi des hommes politiques.  Il n’y a que dans les dictatures que cette dimension de l’écrivain en tant que politique se veut d’être ignorée, exprès.  Mongo Béti ou Oyono étaient des hommes politiques. Montesquieu ou Diderot, Zola ou Malraux, Senghor ou Césaire étaient des hommes politiques aussi.  L’acte d’écrire est un acte politique.

Nous étions habitués à vous voir proche des personnalités du pouvoir au Cameroun, mais vous êtes subitement très critique envers ce même pouvoir. Comment comprendre ce revirement ?

Je fréquente les hommes politiques du monde entier, y compris ceux du Cameroun. Mais cela n’implique en aucune façon une proximité idéologique. J’ai fréquenté Elisabeth Guigou comme je fréquente Valérie Pécresse ; je fréquente François Hollande comme je fréquente Nicolas Sarkozy. Ils sont idéologiquement opposés, cela ne m’empêche pas de les fréquenter. Cela se fait sans partager forcément leurs opinions. Je suis une femme libre qui ne s’attache à rien pour pouvoir exprimer son opinion sans hiatus, sans compromission aucune.

Quant à être critique, je l’ai toujours été vis à vis du Cameroun. Je vous renvoie à des articles d’il y a plusieurs années, à des émissions de télévision où je demandais des comptes à ce régime où l’impunité est roi. Ce n’est pas parce que je n’ai guère apprécié la casse des ambassades que je m’étais transformée en Rdpciste.  Le fait d’affirmer que les élections de 2018 n’avaient pas été gagnées par l’opposition, ne me confère pas non plus une proximité rdpciste. Je suis quelqu’un de rigoureux, voire de psychorigide.  Je suis honnête. Cette attitude ne m’inféode à personne.

De quel parti seriez-vous alors proche au Cameroun ?

Je n’ai aucune proximité avec aucun parti à ce jour, malgré moult propositions.  Cette posture ne n’empêche ne pas cependant d’avoir des points de convergence avec les uns et les autres.

En 2025, il y aura une élection présidentielle au Cameroun. Parmi les potentiels candidats, le nom de Franck Biya est avancé. Qu’en dites-vous ?

« Je suis contre la candidature de M. Franck Biya. On a vécu 40 dans le régime de son père.  Le Cameroun a besoin d’un nouveau souffle. Cette candidature de Franck Biya est crispante »

Je suis contre la candidature de Monsieur Franck Biya. Non parce que j’éprouverais à son égard une quelconque hostilité, mais parce que cette candidature brouille les cartes. En effet, on a vécu 40 dans le régime de son père.  Le Cameroun a besoin d’un nouveau souffle, d’une autre respiration, d’un renouvellement de sa classe politique et intellectuelle.  Cette candidature de Franck Biya est crispante. Elle est excluante. Elle donne à croire qu’il suffit d’être le fils d’un président pour le devenir aussi une fois que l’autre n’est plus aux affaires. Ce serait une passation de pouvoir par l’hérédité.  Ce serait une honte ! Un scandale monumental ! Ce n’est point parce que cette calamité existe dans certains pays d’Afrique qu’il faille l’accepter au Cameroun. C’est une anomalie.  Et cette candidature ne donne pas l’idée de quiétude si nécessaire à l’épanouissement des peuples. Elle est stressante.  Elle charrie grossièrement l’incarnation de l’injustice. Elle dit le dysfonctionnement de l’ascenseur social. Et ne venez pas me dire qu’il est un Camerounais comme un autre. Non, il ne l’est pas ! Son statut du fils du chef génère l’idée de la fraude électorale orchestrée par les mécanismes mis en place par son père.  Et ne me parlez pas de l’exemple des Bush. Le père Bush n’a pas mis 40 ans au pouvoir et les institutions américaines sont assez fortes pour ne pas se faire contrôler par un groupuscule comme c’est le cas ici. Le Cameroun aspire au bien être, à l’égalité sociale et à une intégrité morale, au développement économique, pas à la constitution d’un royaume.

Lorgnez-vous toujours le fauteuil de Secrétaire générale de la Francophonie ?

J’ai rédigé le programme de la Francophone qui la régit encore à ce jour. Cette Francophonie, dans sa forme actuelle, elle m’a été proposée récemment.  J’ai décliné cette offre. Je suis connue pour mes caprices qui me poussent à commander du caviar pour qu’à la fin, je ne mange qu’un beignet et trois graines de haricots et en être très heureuse.  J’aurais pu faire de la Francophonie un bel instrument en son temps ; hélas, c’est trop tard, elle ne me plaît plus du tout !

La France, votre autre pays est décriée de plus en plus en Afrique. Cela ne vous laisse pas indifférente. Que conseilleriez-vous aux autorités françaises actuelle ?

La France est-elle décriée ? Oui. Quelquefois, avec raison, parce qu’elle n’a pas encore soldé son passé colonial. La France sert de cache-sexe aux dirigeants africains défaillants, qui font croire à leur peuple que l’ancien empire colonial est responsable de tous leurs malheurs, de toute leur pauvreté. C’est pourtant faux. Est-ce à cause du colon qu’il n’y a pas de route ? Est-ce à cause de la France qu’il n’y a pas d’eau ni d’électricité ? C’est à cause de la France que nos hôpitaux ne sont équipés de plateaux techniques de qualité ? Est-ce à cause de la France, il n’y a pas de centres de recherches dans les universités ? Non, arrêtons la fourberie ! En revanche, la France doit accepter d’enlever ses bases militaires sans rechigner dans des pays africains. Elle doit accepter de construire sa trésorerie sans le franc Cfa ; cela, la jeunesse africaine montante ne l’acceptera plus jamais ! On pourra retarder cette sortie de la France du franc, mais, c’est une sortie inéluctable. Il est temps que cette sortie soit honorable plutôt que brutale. La France doit se soumettre au complètement au panafricanisme, idéal ultime des pères fondateurs des indépendances africaines. La France est fière d’évoquer l’Europe de Robert Schuman ; il faut qu’elle s’accommode aussi à l’Afrique de Nkrumah, de Sékou Touré ou de Patrice Lumumba.

Pierre Assouline serait-il toujours votre ami ? 

Pierre Assouline n’a jamais été mon ami. Evoquer cela de cette manière-là, c’est un sujet sans importance.  Il s’agit d’un jeu littéraire qui existe depuis la nuit des temps. Des journalistes ont toujours harcelé des écrivains qu’ils n’aimaient pas depuis la nuit des temps aussi.

Avez-vous fait la paix avec Michel Drucker, le présentateur vedette de la télé française ? 

Michel Drucker est de l’ordre du privé.  Ça ne vous regarde pas.

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