TRIBUNE PRÉSIDENTIELLE
Herman Dibotti est arrivé tôt à Yaoundé, il vient de Douala pour rencontrer un ami dans la capitale du Cameroun. En attendant l’heure convenue pour le rendez-vous, Herman Dibotti déambule dans le centre ville ; il compare certains endroits de Yaoundé à ceux de Douala, cette ville en décrépitude, qui n’a plus rien d’une « capitale économique », comme on aime qualifier ce gros bourg désordonné, puant de mouches, de moustiques, de cafards et de rats.
Cela faisait huit ans que Herman Dibotti n’était pas revenu à Yaoundé. La capitale politique porte des habits neufs par endroits : certains trottoirs sont dallés, quelques rues sont entretenues, des murs de soutènement sont élevés, des bancs et jardins publics sont ici et là. Dibotti revoit une ville attrayante dans sa partie centrale. Il apprécie les efforts des autorités municipales. Il compare le civisme des Yaoundéens à l’indiscipline caractérisée des habitants de la capitale économique.
En redescendant le Boulevard du 20 Mai, au volant de son véhicule, il observe un temps d’arrêt afin de contempler la tribune qui abrite les personnalités lors du défilé de la fête nationale chaque 20 mai. Il est face à la tribune présidentielle qu’il n’a souvent vue qu’à la télévision. Il contemple les couleurs et les motifs qui embellissent cette estrade d’honneur.
Le tourisme d’un autre genre auquel il se livre Dibotti, la joie qui se lit dans son regard de curieux, tout cela s’estompe soudain : un militaire en treillis parmi les quatre, descend de la loge présidentielle. Des lunettes noires barrent ses yeux. Il ordonne de couper le moteur de la voiture et de le suivre. Dibotti est face aux quatre hommes nerveux. Il est identifié aussitôt. Les quatre militaires lui égrènent un chapelet de motifs qui constituent une faute grave :
« Vous êtes ici dans un lieu sacré, parce que le chef de l’Etat a l’habitude de rester là des heures durant lors des défilés. Qu’il soit ici ou non en ce moment, ces tribunes sont dorénavant interdites au public. C’est la raison pour laquelle nous de la sécurité dormons ici toute l’année, pour éviter qu’un esprit mal tourné dépose en ces lieux soit une bombe, soit un gris-gris. Maintenant, nous avons la liberté de conduire votre véhicule en fourrière, et vous-même à un autre endroit pour un interrogatoire approfondi. Mais comme vous êtes un responsable et paraissez sincère, nous vous faisons une prévention. En vous laissant libre, nous vous laissons le loisir d’apprécier notre magnanimité ; nous apprécierons aussi le geste que vous ferez… ».
Hermann Dibotti a mis la main à la poche, il a fait le geste qui sauve, en remerciant les « gentils » militaires. Il s’est dépêché de quitter ces lieux « sacrés ». Il s’est posé cette question : vous dites que le Cameroun est une destination touristique ? Mon œil !
ROGER-VIDAL TCHOUEMBOU