LIBÉRATION
Duel à distance entre Poutine et Biden
Rarement le cynisme n’aura semblé si présent, et la vérité si abîmée, que dans les mots, mardi, de Vladimir Poutine, au 362e jour de sa guerre insensée en Ukraine. « Nous ne combattons pas le peuple ukrainien, otage du régime de Kiev et de ses maîtres occidentaux », a osé le président russe au moment même où les bombes de son armée frappaient aveuglément à Kherson, grande ville du Sud ukrainien, un hôpital, une garderie, un marché et un arrêt de bus, tuant au moins cinq civils.
À sept heures d’intervalle et un millier de kilomètres l’un de l’autre, plus que jamais plongés dans des réalités parallèles, le Russe Poutine et l’Américain Biden ont tour à tour exposé leurs visions irréconciliables de l’Ukraine, du monde, de leurs alliances et leurs ennemis, réels ou supposés. Des discours croisés aux âpres relents de guerre froide, entre victimisation à l’est et plaidoyer pour la liberté à l’ouest.
Dans une adresse de près de deux heures aux représentants des parlements, et à travers eux à une nation abrutie de propagande, le chef du Kremlin a ainsi dépeint la Russie en citadelle assiégée, confrontée à une menace existentielle incarnée, en premier lieu, par Washington. « Les élites de l’Occident ne cachent pas leur objectif : infliger une défaite stratégique à la Russie, c’est-à-dire en finir avec nous une fois plus toutes », a-t-il martelé.
LE TEMPS
Une inquiétante escalade
Un demi-siècle d’efforts visant à prévenir la guerre nucléaire a pris fin. Mardi, Vladimir Poutine a déclaré suspendre la participation russe au traité New Start. Entré en vigueur juste après la crise des missiles d’octobre 1962 à Cuba, le texte engageait 191 États à limiter leur possession de tels armements.
Personne ne s’étonnera de cette annonce : cela fait des semaines que Moscou refuse la reprise des inspections mutuelles des arsenaux nucléaires stratégiques, et les Russes viennent de se faire exclure pour la première fois de la Conférence de Munich sur la sécurité, eux qui y avaient signé le traité aux côtés des Américains en 2011. Ce 21 février restera une date marquante dans le déroulé de la guerre. Dans les actes, d’abord. Voici qu’est aboli le dernier accord sur l’armement liant Russie et Etats-Unis, alors que ces deux pays détiennent 90% de l’arsenal nucléaire mondial.
Dans les paroles conjointes des Russes et des Chinois ensuite. Vladimir Poutine fustigeait mardi « l’élite occidentale » qui « ne cache pas ses objectifs, qui sont d’infliger une défaite stratégique à la Russie, c’est-à-dire qu’un conflit local doit entrer dans une phase d’affrontement mondial ».
LE PARISIEN
Poutine, un an de déboires et d’erreurs
Déni, menace et chantage nucléaire, le tout nimbé d’un certain mysticisme. Ainsi pourrait-on résumer le discours de Vladimir Poutine ce mardi, à trois jours du premier anniversaire de l’invasion de l’Ukraine. Déni, parce que malgré les revers à répétition et les immenses pertes humaines pas moins de 170 000 soldats russes tués ou blessés selon des études de l’état-major norvégien le chef du Kremlin martèle qu’il poursuivra « pas à pas, soigneusement et méthodiquement » les objectifs de ce qu’il persiste à appeler son « opération spéciale » en Ukraine. Menace d’extension de la guerre, lorsqu’il avertit qu’il est « impossible de battre la Russie sur le champ de bataille » : manière de rappeler, alors que son homologue américain Joe Biden se trouve non loin, à Varsovie (Pologne), après sa visite surprise à Kiev (Ukraine), qu’il est doté de l’arme nucléaire et qu’il n’hésiterait pas à l’utiliser, en Ukraine voire ailleurs contre l’Otan, si la situation devenait hautement critique pour lui. Chantage, quand il suspend en direct le traité russo-américain New Start sur le désarmement nucléaire, un accord certes déjà mal en point mais qui avait le mérite d’exister. Sa dénonciation acte la rupture avec l’Occident, renforce l’idée qu’il veut imposer une guerre par procuration entre la Russie et les États-Unis. Ce geste pourrait aussi avoir de graves conséquences, car tout au long de cette année de guerre, le dialogue sur l’usage du nucléaire militaire et civil s’est poursuivi entre puissances « dotées » possédant la bombe atomique. Poutine a concrétisé sa menace en appelant son armée à se tenir « prête à réaliser des essais d’armes nucléaires ».
LE MONDE
Joe Biden à Kiev : « La démocratie tient »
Il y a un an, le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, espérait pouvoir célébrer rapidement la conquête de la capitale ukrainienne. Douze mois plus tard, c’est le président américain, Joe Biden, qui déambule lundi 20 février dans les rues de Kiev, en dépit des sirènes d’alerte aérienne, aux côtés de son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, affichant « le soutien indéfectible » des États-Unis à l’Ukraine, et estimant que « la guerre de conquête » de Moscou est « en train d’échouer ». Mardi 21 février, le dirigeant russe a promis de continuer « soigneusement » son offensive, lors de son adresse à la Nation, estimant que « l’existence de la Russie est en jeu et qu’il est impossible de la vaincre sur le champ de bataille ». « Les élites des pays occidentaux sont responsables de l’escalade en Ukraine », a-t-il ajouté.
La visite de Joe Biden a eu lieu le jour des « héros de la centurie céleste », destiné à commémorer la centaine de morts de la « révolution de la dignité » du mouvement Euromaïdande l’hiver 2013-2014. Kiev les considère comme les premiers héros de la lutte pour une Ukraine libérée et émancipée. Tout un symbole, après un an d’une invasion russe pour le moment tenue en échec.
LE FIGARO
Rideau de fer
Il était stupéfiant d’entendre ce mardi Vladimir Poutine et Joe Biden décrire, à quelques heures et 1 200 km de distance, les univers parallèles d’où ils mènent leur guerre l’un contre l’autre.
À écouter le chef du Kremlin s’exprimant devant les élites moscovites, la Russie est un agneau que les Occidentaux n’ont eu de cesse de tondre, puis d’assujettir, avant de vouloir l’égorger. Selon lui, la Russie honnête et pacifique a dû « utiliser la force pour mettre fin à la guerre » déclenchée par l’Ouest hypocrite et « répugnant ». Il exalte une « civilisation » attachée à ses valeurs, assiégée pour cela par de pseudo-démocraties décadentes, mais qui prospère dans l’adversité. À croire que Poutine a trouvé dans la guerre une opportunité de façonner sa Russie idéale, un pays retrouvant son autonomie et sa cohésion, et inculquant à ses enfants ses vertus fondamentales, foi et patriotisme.
Ce qui n’apparaît jamais dans le monde du néotsar, c’est le peuple ukrainien mobilisé contre lui. Tout au plus y voit-il un « otage » des puissances occidentales gardé par un régime néonazi à Kiev. Pour Joe Biden, au contraire, le peuple et l’État ukrainiens ne font qu’un, force vive d’une nation à laquelle nul ne peut refuser son droit légitime « à la liberté et à la souveraineté ». L’Otan est « plus forte que jamais », et le soutien de l’Amérique aux Européens, « indéfectible » : là aussi, la guerre renforce la cohésion et les certitudes. Pas plus que le Russe, l’Américain ne doute du bien-fondé de sa cause et d’incarner la « vérité ». Dans ce choc des mondes, celle de l’autre paraît évidemment « absurde ».
LE CANARD ENCHAÎNÉ
Macron se dit « Prêt à un conflit prolongé »
Combien de temps cette guerre va-t-elle encore durer ? Six mois ? cinq ans ? ou plus ? Déjà 200 000 morts, au bas mot. Combien, en tout, quand viendra (forcément) la paix ? Combien ces prochains jours ? L’offensive russe imminente se soldera-t-elle par un bain de sang inouï ? ou raisonnablement tolérable ? Allons-nous nous habituer à cette guerre ? Le sommes-nous déjà ? Allons-nous nous en lasser ? Va-t-elle finir par nous énerver ? Ces Ukrainiens qui s’entêtent à défendre leur pays et nous ré- clament des canons, des chars, et des munitions, et des avions, et puis quoi encore, ne commencent-ils pas à exagérer ? Pourquoi ne cèdent-ils pas le Donbass ? Poutine serait content. Avec une ou deux régions en plus, s’il insiste (et il est du genre insistant). Et un bout de Pologne (ça lui ferait tellement plaisir !). Et un ou deux pays Baltes. Et la Finlande et la Suède, avant qu’elles entrent bêtement dans l’Otan (une vraie provoc). On serait tranquilles. Ça le calmerait. L’absorption de la Crimée ne l’a- t-elle pas calmé ? Du moins pendant huit ans… Certes, rien n’est sûr, mais il faudrait essayer, non ? Sinon, ça va s’éterniser. Et c’est risqué. Marine Le Pen l’a bien dit : la troisième guerre mondiale nous pend au nez. Ne jouons pas avec le feu. Faire ami-ami avec le méchant, ça le rendra gentil. On n’aura pas tous ces ennuis. L’essence redeviendra abordable. Et le gaz. Et finie l’inflation ! On pourrait revenir à nos moutons.