juillet 20, 2024

Jean-Pierre Ndiaye, journaliste-sociologue et panafricaniste sénégalais

Lorsque James Onobiono apprend la triste nouvelle, il appelle aussitôt Madi. « Elle n’a pas décroché. J’ai laissé un message sur le répondeur de son téléphone », affirme-t-il ».

Il est mort le 31 octobre 2022.  C’était le 1er novembre. Peut-être c’était le 2 ou le 3 du même mois. Qu’importe, il n’est plus vivant. Il s’est éteint à Argentat-sur-Dordogne, en Corrèze (France).  Il avait 88 ans. Il était né à Dakar, au Sénégal. Après ses études en France, il s’y était définitivement établi. Il se rendait tout le temps dans son pays natal. Il avait gardé de solides attaches avec son continent. Après un long séjour parisien, il s’était retiré en province auprès de son épouse, Madi.

Lorsque James Onobiono apprend la triste nouvelle, il appelle aussitôt Madi. « Elle n’a pas décroché. J’ai laissé un message sur le répondeur de son téléphone », affirme-t-il ».

L’ami fidèle

Les amours de James Onobiono avec Jean-Pierre Ndiaye naissent en 1977. Le jeune mathématicien frêle et longiligne doit soutenir une thèse à la thématique compliquée à l’université de Paris VI. La nouvelle traverse les milieux universitaires parisiens : Paris VI ne parvient pas à réunir un jury aux compétences avérées afin d’évaluer les travaux du candidat Onobiono. Au moment de la soutenance, un observateur est au fond de la salle. Silencieux, il est subjugué par le talent du candidat. Cet observateur s’appelle Jean-Pierre Ndiaye. La soutenance est sanctionnée par « les félicitations du jury ». Le lendemain, Jeune Afrique ouvre avec : « Félicitations docteur ! ». Le papier est signé de Jean-Pierre Ndiaye. Le journaliste et l’industriel ne se sont plus jamais quittés.

Béchir Ben Yahmed, le fondateur de Jeune Afrique, était un capitaine d’industrie certes, mais il ne voulait pas s’afficher trop avec les chefs d’Etat et les hommes d’affaires, même s’il avait besoin d’eux pour renflouer les caisses de son entreprise. Il leur préférait les intellos. Pour montrer ce côté intello, il devisait avec eux de manière ostentatoire dans son jardin, avenue des Ternes. Les historiens Elikia Mbokolo, Ibrahima Baba Kaké ; les poètes Edouard Maunik ou Léopold Sédar Senghor ; l’universitaire suisse Jean Ziegler étaient souvent ses invités au détriment d’Houphouët-Boigny, de Mobutu Sese Seko ou Abdoulaye Wade. Il envoyait au gotha de la politique et des affaires ses hommes de main, tels que Siradiou Diallo, Paul Bernetel, Sennen Andriamirado, Bruno Thiam ou Ananie Rabier Bindzi. C’est donc avec bonheur que Ben Yahmed fait la connaissance du jeune docteur James Onobiono, convoité par les industriels et les milieux français de la recherche scientifique.

« Le Club des amis… »

Jean-Pierre Ndiaye avait joué dans cette rencontre un rôle central. Plus tard, Béchir Ben Yahmed propose à James Onobiono, jeune industriel camerounais à qui tout réussi dans son pays, d’entrer dans le « Club des amis de Jeune Afrique ». Ce club est une constellation de politiques et d’hommes d’affaires, dont l’objectif est de renflouer les caisses du journal à ses moments de tension de trésorerie. Cela fonctionne à merveille ! Jean-Pierre Ndiaye scelle ainsi la relation entre James Onobiono et Béchir Ben Yahmed.

Bokito

En 1995, James Onobiono inaugure la gigantesque usine de traitement de tabac à Bokito. Jean-Pierre Ndiaye est parmi les invités de marque. Il écoute Tshala Mwana, une voluptueuse chanteuse de rumba congolaise. Elle chante et éblouit, dans un déhanchement envoutant, le public emporté dans de folles rêveries. Jean-Pierre Ndiaye ne tient plus sur chaise. Une coupe de champagne à la main qu’il brise sur les moellons d’une retenue d’eau attenante au lieu du spectacle, il s’écrie : « C’est ça, les valeurs culturelles de notre Afrique ! » ; il est presqu’en larmes.

Jean-Pierre Ndiaye était un personnage divers. Conter sa trajectoire serait un exercice quasi impossible. En s’y risquant, il faudrait alors mettre bout à bout plusieurs de ses nombreuses casquettes professionnelles. Il avait surtout une casquette réelle, tantôt de couleur verte, tantôt grise. Elle ne quittait jamais sa tête ! Elle couvrait ses cheveux en mèches sous la forme des spaghettis.

L’intellectuel

Jean-Pierre Ndiaye a enseigné la sociologie dans plusieurs universités de France. C’est surtout dans celle de Nanterre, au nord de Paris, qu’il se découvre. Nanterre est considérée en France comme une université « rebelle ». Les sciences sociales ont élu leur temple dans cette université. C’est de là que nait la grande insurrection universitaire qui embrasa toute la France, surtout la classe politique : « Mai 68 ». Jean-Pierre Ndiaye vit ce mouvement. Il y rencontre quelques-uns de ses principaux acteurs, notamment Alain Geismar, Alain Krivine, Daniel Cohn-Bendit surnommé « Daniel le rouge ».  Jean-Pierre Ndiaye a porté pour le restant de sa vie les stigmates de « Mai 68 ».

Observateur de la communauté africaine de France constituée de travailleurs immigrés et des étudiants, il transforme en livre de librairie sa thèse au titre de « Les travailleurs africains en France ». Il relate les différentes classes de cette communauté, leurs conditions de vie et leurs problèmes d’accueil et d’intégration.

Jean-Pierre Ndiaye avait une grande admiration pour Jean-Paul Sartre. Il avait réussi à repérer les déplacements du philosophe français dans la ville de Paris. Il savait par exemple que Sartre habitait le boulevard de Montparnasse entre le 6ème et le 14ème arrondissement de Paris. Il savait qu’il fréquentait le café « Les Deux Magots » au boulevard Saint-Germain. Le jour que Jean-Paul Sartre lui a accorda un entretien de plus de 4h, Jean-Pierre nous confia : « J’ai dit au maitre que je lui accorderai tout ce qu’il voudrait, s’il pouvait de temps à autre me donner l’opportunité de m’abreuver à son robinet du savoir ».

Le panafricaniste

Jean-Pierre était un panafricaniste moulé aux contacts des théoriciens de ce mouvement qui était né hors du continent africain. William Edward Burghardt Du Bois était Américain ; Marcus Garvey, Malcom X, Stockely Carmichael, Angela Davis aussi. George Padmore lui était originaire de l’île de Trinidad-et-Tobago. Ce sont ces descendants d’esclaves qui lancent le mouvement du panafricanisme. Son bastion se trwouve aux Etats-Unis d’Amérique. Jean-Pierre Ndiaye adhère à ce mouvement au début de la première décennie de 1960. Il multiplie des séjours aux Etats-Unis afin de communier avec les Noirs du quartier Harlem, à New-York. Il séjourne longtemps au Sud-Soudan, où les Noirs animistes et chrétiens tentent de se détacher de l’emprise du Soudan du nord musulman.

Ces déplacements, ces contacts, ce regard, tout cela amène le sociologue à observer des peuples hardis qui se battent pour affirmer leur identité et prendre leur destin en main. De retour à Paris, Jean-Pierre Ndiaye publie à Présence Africaine un livre au titre de : « Monde noir et destin politique ». Il affirme dans son ouvrage que la « Nouvelle Afrique est en train de naitre… les combats pour les indépendances sont terminés ; il faut unir le continent pour son épanouissement et son développement économique ». C’était le crédo de Jean-Pierre Ndiaye.

Le journaliste révolutionnaire

Nous formions une pléiade de jeunes journalistes africains autour de Jean-Pierre Ndiaye : Sennen Andriamirado de Madagascar, Mohamed Maïga du Mali, Lofembe Ekofo du Zaïre, (actuelle Rdc), Mohammed Selami du Maroc, Maria Kala Lobè et moi du Cameroun. C’était une bande de rieurs et de persifleurs, mais pourtant très appliqués au travail. Sennen était « l’insulaire » joyeux, Maïga le Samory intrépide, et moi le « répertoire » qui retenait par cœur, pour tout le monde, les numéros de téléphone à 9 chiffres sans les relever. JPN voulait que nous soyons des journalistes engagés pour la cause de l’Afrique.

Béchir Ben Yahmed avait institué une pratique à la rédaction : lorsqu’il y avait la couverture d’un évènement sans enjeu, un journaliste major se faisait accompagner d’un jeune reporter. Pendant que le major faisait les RP, le jeune reporter faisait le boulot rédactionnel. Ce fut le cas en novembre 1978. Un sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest naissante se tient à Bamako, au Mali. J’accompagne Siradiou Diallo, alors directeur de la rédaction. Jean-Pierre se trouve à ce sommet. Les présidents Seyni Kouncthé du Niger, Sangoulé Lamizana de Haute Volta,(actuel Burkina Faso), Sédar Senghor du Sénégal et Houphouët- Boigny de Côte d’Ivoire discutent dans un coin de l’hôtel de l’Amitié. Le président Senghor accorde du temps et des égards à un personnage excentrique, vêtu d’un pantalon de velours, d’une chemise doublée d’un pull-over en pleine canicule sahélienne. Il porte un béret vert qui couvre sa tignasse aux cheveux éméchés. Les deux hommes se tutoient et se touchent l’épaule. Le président Houphouët-Boigny, intrigué, interroge discrètement Siradiou Diallo : « Qui est cette personne qui porte un béret vert et à qui le président Senghor accorde tant de temps ? » : « C’est Jean-Pierre Ndiaye de Jeune Afrique », répond Siradiou Diallo. De retour à la rédaction, à Paris, je raconte cette histoire à Jean-Pierre qui réagit aussitôt : « Qu’est-ce qui intéresse Houphouët-Boigny, c’est mon béret ou sa couleur ? » C’était cela JPN.

Le président Senghor, agacé des critiques de Jean-Pierre du système éducatif sénégalais, lui offre le ministère de l’Éducation nationale. « Non, merci cher président. A toi la politique, à moi les critiques ! » C’est en ces termes que le journaliste-sociologue décline l’offre.

Il s’en est allé, toujours vif, toujours frondeur, toujours le béret sur ses spaghettis, jusqu’au paradis.

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