juillet 16, 2024

Images d’un accident de la route ayant fait plus de 50 morts en Zambie en 2013. © AFP

Emmanuel Bonnet * « L’insécurité routière est la première cause de décès chez les 5 à 29 ans, mais les États du continent n’engagent que des actions de courte durée. »

La route tue, en Afrique plus qu’ailleurs. L’accident de bus survenu le 9 janvier près de Kaffrine au Sénégal a été très médiatisé en raison du nombre de victimes : 40 morts et 101 blessés. Mais il rappelle une situation très fréquente dans la majorité des pays africains. Ce drame vient ainsi s’ajouter à une longue liste de récentes collisions macabres.

Le 5 janvier, un accident de bus faisait 14 morts et 70 blessés à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire ; 25 morts en août 2022 au nord d’Abidjan ; 30 morts dans le sud-est du Kenya fin juillet 2022, 25 morts dans le centre de l’Égypte à la même période. A Kaffrine, la cause de l’accident – un éclatement de pneu a mis en lumière la vétusté des moyens de transport et le non-contrôle des éléments de sécurité.

En 2010 était pourtant décrétée la décennie d’action mondiale pour la sécurité routière sous les auspices de l’Assemblée générale des Nations unies. Dix ans plus tard, en février 2020, la Déclaration de Stockholm soulignait qu’aucun pays à faible niveau de revenus n’avait réduit ses taux de mortalité et de morbidité routiers. L’Afrique présente les taux les plus élevés. Le taux de mortalité moyen est estimé à 27,5 pour 100 000 habitants sur le continent alors qu’il est plus de trois fois plus faible dans les pays à revenus élevés.

Bilans nationaux sous-évalués

Si cette décennie a été un échec s’agissant de la réduction de la mortalité et des blessés, elle aura au moins eu le mérite de placer la question au cœur des agendas politiques : dans le cadre des Objectifs de développement durable de l’Onu, l’ambition est de réduire de 50 % le nombre de blessés et de morts sur les routes du monde d’ici à 2030.

Mais dans un premier temps, la vraie question est de savoir si les pays africains sont en mesure de produire des statistiques fiables. À titre d’exemple : beaucoup d’États ouest-africains tirent leurs données des procès-verbaux d’intervention des policiers. Or les polices nationales ne sont pas les acteurs les plus impliqués lorsqu’un accident grave survient.

 Directeur de recherche à l’Institut de recherche et de développement (Ird) (Umr Prodig),
spécialiste de la sécurité routière en Afrique. 

Ce sont principalement les sapeurs-pompiers qui interviennent pour secourir les victimes et les acheminer vers les centres de soin. Plusieurs études menées au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire démontrent que les données des pompiers et des urgences hospitalières permettent d’être plus précis. On dénombre alors quatre fois plus de blessés et de décès. Les bilans nationaux sont donc sous-évalués.

La problématique des blessés est également cruciale. Ils sont contraints d’engager des soins, souvent trop coûteux pour leurs revenus. Quant aux capacités d’accueil et de prise en charge dans les hôpitaux, elles sont insuffisantes et nécessiteraient d’être développées et modernisées, notamment en dehors des capitales. Certains blessés souffrent de handicaps durables, plus difficiles à prendre en charge en Afrique qu’ailleurs. Ainsi, les accidents de la route et les traumatismes associés représentent-ils aussi (et surtout ?) une question de santé publique majeure mais négligée : peu de moyens sont mis en place aux niveaux préhospitalier, hospitalier et post-hospitalier pour faire face aux besoins.

Les États africains créent des agences de sécurité routière sous les tutelles des ministères des transports pour mettre en œuvre les politiques, sensibiliser les usagers et aménager certains lieux accidentogènes. La majorité des pays dispose aussi de tout l’arsenal législatif sur la réglementation routière, mais une grande majorité de ces lois ne sont pas appliquées. Le port du casque, celui de la ceinture de sécurité ou encore les taux d’alcoolémie ne sont presque jamais vérifiés sur le terrain.

Actions de court terme

Les États s’appuient sur ces agences sans qu’elles aient réellement les moyens d’agir. Elles dépendent des autres ministères qui acceptent rarement des injonctions externes. Il existe des commissions interministérielles, mais elles se réunissent peu ou lorsqu’un événement majeur se produit comme ce fut le cas avec l’accident de Kaffrine. Un certain nombre de mesures sont alors adoptées pour améliorer la sécurité routière mais elles débouchent sur des actions de terrain de courte durée.

En 2021, en Côte d’Ivoire, le gouvernement avait décidé de faire appliquer le port du casque après plusieurs accidents mortels dans le nord du pays. Un an après, on est revenu à la situation antérieure : à peine 20 % des usagers portent un casque. Les États tentent d’agir, mais la sécurité routière doit se mener sur le long terme, dans plusieurs secteurs simultanément, et il est vrai, dans des contextes difficiles sur les plans économiques, sociaux et politico-sécuritaires pour ces pays.

Enfin, l’accident de Kaffrine ne doit pas cacher tous les autres accidents de la route : ceux qui impliquent les usagers dits vulnérables que sont les piétons, les deux roues – motorisés ou non –, qui représentent la grande majorité des blessés et des décès en Afrique. On en parle peu, mais ils surviennent tous les jours et généralement parmi les populations les plus défavorisées.

Agir sur la sécurité routière nécessite plus d’engagements des États et plus d’aide internationale. Cela implique aussi d’éduquer dès le plus jeune âge aux risques routiers, pour changer les comportements. C’est à ces conditions que de véritables progrès apparaîtront.

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