juillet 25, 2024

Affaire Martinez Zogo : enquête au delà des frontières.

Arrivé au Cameroun le 16 avril, le chef du bureau des investigations à Rsf en est reparti 10 jours plus tard. Pendant son séjour, il a une continué d’enquêter sur la disparition tragique de Martinez Zogo. Avant de regagner la France, il s’est entretenu avec Le Calame sur la situation des journalistes dans notre pays.

AFFAIRE MARTINEZ ZOGO

Arnaud FROGER

    • Les commanditaires et les exécuteurs doivent être livrés à la justice.
    • Nous nous investissons pour connaître la vérité.
    • Les rapports entre l’Etat et ses médias ne sont pas sereins.
    • Les journalistes camerounais sont vulnérables.

Qu’est-ce qui vous amène au Cameroun ?

Je suis au Cameroun pour prendre le pouls de la liberté de la presse dans ce pays dont le classement selon les indicateurs et les critères de « Reporter sans frontières », n’est souvent pas des plus enviables. Je prends également des contacts durant mon séjour ici avec diverses personnes pour en savoir plus sur l’affaire Martinez Zogo. Cette affaire d’État porte un coup dur à la liberté de la presse au Cameroun. L’affaire est entre les mains de justice c’est vrai, mais « Reporter sans frontières » ne baissera pas les bras pour autant. Nous continuerons d’être vigilants jusqu’à ce que les commanditaires et les exécuteurs de cet odieux assassinat soient démasqués sur toute la ligne, et qu’ils soient punis selon les lois du Cameroun. 

Je voudrais aussi jauger ce qui est considéré ici comme délit de presse, identifier les actions des organes de régulation dans leurs rapports avec la presse. 

Comment s’est passé à votre arrivée au Cameroun ?

Elle n’a pas connu d’obstacle. On m’a laissé travailler. Tout a bien commencé à l’ambassade du Cameroun à Paris. Lorsque je me suis rendu rue d’Auteuil pour les formalités du visa, j’ai été reconnu par certaines personnes. Elles n’ont pas été tendres avec moi ! Mais curieusement, le visa m’a été accordé sans obstacle !

Et une fois au Cameroun alors ?

J’ai été reçu par M. René-Emmanuel Sadi, le ministre de la Communication avec qui j’ai échangé avant d’entamer mes autres contacts. « Reporter sans frontières » n’a pas de territoire. Nous défendons une cause, celle de la liberté de la presse. Le président du Cameroun Paul Biya a prescrit une enquête à large spectre sur la mort de Martinez Zogo. Nous avons apprécié cela. Nous de notre côté, nous cherchons aussi à avoir la lumière sur le même sujet. Cela signifie que président du Cameroun et Rsf, nous avons un souci partagé : connaître la vérité sur cet assassinat. Lorsque nous apprenons qu’un confrère est tué par des personnels de l’Etat, en utilisant les moyens de l’Etat, il s’agit là d’un crime d’Etat sans plus ! Le journaliste doit dénoncer les maux qui sont des obstacles à la paix. Il existe malheureusement des forces qui luttent pour empêcher le journaliste à faire ce travail qui relève du bien commun.

Sur qui comptez-vous pour voir clair sur l’assassinat de Martinez Zogo ? 

Je discute du sujet avec toute personne susceptible de m’apporter une information fiable. Je n’ai pas d’à priori. Mon agenda au Cameroun est essentiellement consacré à l’affaire Martinez Zogo. Nous nous investissons pour connaître la vérité. Il faut briser la chaîne de ceux qui se sont permis un acte aussi odieux sur un journaliste. Nous avons appris qu’un journaliste a été tué au Cameroun avec les moyens de l’Etat, en faisant une ignoble besogne, c’est très grave ! C’est inacceptable ! Le journaliste doit survivre en faisant son travail. Il doit être protégé, et non assassiné.  Il existe malheureusement des forces qui s’organisent et luttent contre cela. 

La justice pourrait vous rassurer alors…

Le gouvernement du Cameroun doit aider la justice à bien faire son travail sur le dossier Martinez Zogo. Les Camerounais et la communauté internationale ont le regard braqué sur cette affaire. Vous voyez, le classement de la liberté de la presse dans le monde que Rsf publie chaque année est un grand rendez-vous. Ce classement est exploité par les organisations internationales, par les bailleurs de fonds et par les grandes puissances. C’est un miroir à travers lequel un pays est perçu et jugé sur sa fiabilité. En faisant bien son travail, la justice camerounaise contribuerait à donner une bonne perception du pays sur la scène mondiale.

« Reporter sans frontières » est engagé à suivre l’affaire de Martinez Zogo. Nous ne relâcherons pas ce dossier jusqu’à ce que les commanditaires et les exécuteurs de Martinez Zogo soient démasqués et livrés à la justice. C’est notre mission, c’est notre devoir.

Que retenez-vous de vos échanges avec les pouvoirs publics sur l’état de la presse au Cameroun ?

Nos échanges avec le Mincom ont été francs et cordiaux. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais c’est bien de se parler. Nous sommes présents dans 180 pays. Nous constatons qu’au Cameroun, le paysage médiatique est pléthorique. La presse camerounaise a une liberté totale de ton qui accompagne cette pléthore de titres. Mais l’ensemble de la presse camerounaise vit dans une vulnérabilité économique lamentable. Les journalistes camerounais sont vulnérables. Les rapports entre l’Etat et ses médias ne sont pas sereins. Tous ces éléments sont pris en compte dans le classement mondial de la liberté de la presse dans un pays. Parce que ces rapports ne sont pas sereins, il n’y a aucune raison que la position du Cameroun s’améliore. Cette position du Cameroun se dégringole d’année en année.

Auriez-vous des recettes qui contribueraient à freiner cette dégringolade ?  

Des pays nous sollicitent pour demander ce qu’il faut faire pour améliorer leur position dans le classement mondial de la liberté de la presse. Ces pays nous consultent car ils savent que la liberté de la presse est une boussole qui oriente parfois les investisseurs. Nous leur recommandons quelques ceci :

  • améliorer le sécuritaire de façon globale,
  • améliorer l’environnement politique, économique et social,
  • assainir le cadre légal de la presse qui rend service public,
  • tenir compte du droit des femmes.

Vous êtes à votre premier voyage au Cameroun. Quel sentiment ramenez-vous ?

J’ai un passif qui n’est pas encore soldé avec le Cameroun. Je m’intéresse à ce pays depuis le 04 octobre 2000. Ce jour-là, l’équipe nationale de football, les Lions indomptables livrent un match amical contre l’équipe nationale de France. Le match se joue au Stade de France à Saint-Denis. Après le but français inscrit à la 14ème minute par Sylvain Wiltord pour le compte de la France, à la 44ème minute, Patrick Mboma, placé entre Didier Deschamps et Marcel Desailly, rétabli l’équilibre par un joli retourné acrobatique ! Ce beau geste de l’attaquant camerounais m’avait poussé à m’intéresser au Cameroun au point à vouloir m’y établir, car j’aime beaucoup le football. 

Alors, pourquoi vous n’êtes jamais venu depuis ce temps ?

On m’avait refusé le visa. Pourtant, une belle occasion m’était offerte en 2013 : la correspondante locale de Rfi, Sarah Sakho était sur le pont de quitter son poste au Cameroun. Rfi est d’accord que je la remplace. Ma candidature semblait ne pas gêner les autorités camerounaises. Pourtant, le visa long séjour demandé est resté pendant 6 mois sans suite. J’avais compris que je ne serai pas le bienvenu au Cameroun. Ma frustration fut grande. Pourtant, pour aller en Côte d’Ivoire, il me faut maximum 15 jours pour obtenir le visa. 

Partager l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *