« Pourquoi ai-je épousé le chef traditionnel de Bangangté ? Parce que je l’aimais, voilà tout. Et puis, ce genre de questions, on ne se les pose pas dans mon pays, on ne se les pose en Afrique. Demandez à un Africain : « Que faisait cette blanche au sein d’une chefferie polygame ? » il répondra simplement : « Dieu seul sait ». Pour lui, personne n’est maitre de son destin. Nul besoin d’explication, d’analyse, Dieu seul sait. Rechercher la sagesse est bien plus important que la quête du savoir. »
Ainsi commence la confession de Claude Njike Bergeret, « La reine Blanche » dans un reportage de nos confrères d’Envoyé spécial. Ces bribes préliminaires plantent à suffisance le décor d’une existence surprenante et émouvante. Celle de la Française, protestante de confession Africaine par choix de son cœur.
Sa vie est une curiosité qui provoque de déplacements des Camerounais, d’Africains, d’Occidentaux et d’Asiatiques vers son village à 25km vingt- cinq kilomètres de Bangangté. La reine Blanche s’est installée là-bas, y continue son aventure africaine, cultivant maïs, arachides, manioc, igname, soja, haricot…et des plantes exotiques telles que vanille, fraise, raisin…y pratiquant l’élevage des bœufs, chèvres, volaille.le tout à la manière traditionnelle reconnue à nos ancêtres.
La vie de la reine Blanche se révèle comme un chemin difficile, une leçon de vie et de courage « d’une femme libre qui répond aux interrogations de notre temps » sur plusieurs thèmes : le culte de la consommation, le rap- port de l’homme et le milieu naturel, la croissance opposée au respect de l’environnement, l’humanisme, l’altruisme.
Cette enseignante et géographe de formation affirme « …j’ai vécu au rythme des deux civilisations très différentes : d’abord et avant tout, celle de mes ancêtres français huguenots que mes parents s’efforçaient de me transmettre sans grand succès parce que je me sentais si libre qu’il était presque impossible, dans les courts instants que je passais avec eux, de m’inculquer la rigueur d’une telle éducation.
Et d’un autre côté, celle dans laquelle je passais le plus clair de mon temps avec mes amies Camerounaises, loin de mes parents trop occupés à essayer d’éradiquer des coutumes primitives et païennes à leurs yeux mais qui, malheureusement pour eux, comblaient mes aspirations enfantines».
Parcours
Fille et petite-fille de missionnaires français, Claude Njike-Bergeret est née au Cameroun à Bangangté, du pasteur Charles Bergeret et d’Yvette Guiton. Elle considère cette enfance en terre camerounaise comme une chance et l’exprime avec lyrisme : « …j’ai ainsi eu la chance de grandir en Afrique jusqu’à l’âge de treize ans et d’y apprendre, en partageant la vie de Bangangté à vivre de la terre ».
Rentrée avec sa famille en France en 1956, elle y a passé le temps à faire des études de géographie jusqu’à l’agrégation. La société française en pleine expansion économique ne lui sera d’aucune fascination. Même son premier mariage en France ne constitue pas un argument suffisant pour résister à l’appel du destin qui l’attend en Afrique.
C’est ainsi que dix-huit ans après, elle retourne dans ce qu’elle appelle affectueusement « mon pays natal, dans le village de (son) enfance », à Bangangté. Au plus fort de son amour pour le terroir, elle est amoureuse du chef des Bangangté, Njiké Salomon qu’elle épouse.
Elle s’installe dans la chefferie en compagnie d’une quarantaine de coépouses et leurs progénitures. Cette union défiant toute lois anti-polygamie que l’on peut redouter des origines françaises de la « Reine Blanche » et défiant en même temps les coutumes africaines tiendra avec succès sur neuf ans avant d’être interrompue par la mort du chef. Elle connaîtra une vie riche et singulière entre le quartier des femmes, le palais royal et le bois sacré.
Période faste de l’édification de la forte personnalité et de la très grande sagesse africaine que l’on reconnaît aujourd’hui chez Claude Njiké- Bergeret. Elle le signifie elle-même : « Au cours de ma vie à la chefferie, en écoutant et en m’imprégnant au jour le jour de ce que me confiaient les « vieilles mamans », comme nous les appelions-des veuves depuis parfois quatre générations de chefs qui ont la possibilité de rester chez elle après la mort de leur mari -, j’ai réalisé combien les relations qui unissent l’être humain à la terre sont complexes dans une société traditionnelle agricole.
Ces liens toujours respectueux de la nature sont économiques, puisque la terre nourrit l’homme, mais aussi spirituels puisque les ancêtres y reposent en veillant sur les vivants » in préface Agis…pp 10,11.
A la mort du chef, Claude Njike- Bergeret a connu quelques démêlés avec l’actuel chef, en refusant d’être « prise en veuvage » (devenir automatiquement l’épouse du successeur). Pour justifier cette décision qui a très tôt fait tomber au souverain l’intéressant rêve d’avoir la reine blanche dans son lit, elle explique qu’elle a aimé Salomon Njiké et non quelqu’un d’autre.
Cet air de liberté d’une femme face aux coutumes ancestrales est le genre situation qui soulève beaucoup de remous et même de la colère chez les tenants de la tradition. Son mari le chef étant parti. Ainsi s’installe-t-elle définitivement dans son ranch au bord du fleuve noun où elle mène avec ses enfants et ses descendants une existence pastorale paisible et pleine de philosophie.
Vie pastorale
Claude Njike-Bergeret explique son retour en Afrique : « c’est un retour aux sources ». Cet attachement à la terre d’Afrique, sa terre de naissance est un déterminant vital pour elle. C’est ainsi que l’amour du chef Salomon Njiké et le mariage ont constitué la grande porte d’entrée par laquelle la reine accède à l’appropriation des coutumes, des traditions et même des philosophies de vie profondément africaines.
Elle est pionnière et créatrice de cet endroit devenu aujourd’hui village ku’tchub (la grande parole), nom de baptême qu’elle a elle-même donné à ce terroir. Cette vallée féconde et fertile située sur le littoral droit du fleuve noun est un cadre très propice pour l’agriculture et l’élevage Du vivant du chef Njiké Salomon, c’était un endroit où la reine Blanche venait cultiver et retourner à la chefferie dans la ville de Bangangté. A la mort du chef, elle y a élu son cadre de vie définitif. Elle y voue presqu’une croyance en le respect de la nature avec ce qu’elle contient.
Elle développe une agriculture vivrière dans laquelle tubercules, céréales, légumes, bananier, arbres fruitiers et plantes exotiques y connaissent une expérience favorable. Chaque espèce qui contribue à faire l’équilibre alimentaire des êtres vivants y est développée. Culture pratiquée à la main sans mécanisation, culture biologique sans intrants chimiques.
La philosophie de la reine recherche ce que la nature nous donne et non la résultante des modifications génétiques. De même l’élevage du grand et petit bétail, l’élevage domestique traditionnel y obéissent à ce principe d’alimentation naturelle, sans provende et sans stimulation par injection des substances médicales. Le tout contribue à créer un cadre existentiel intégré presque paradisiaque. Une cinquantaine de palmiers non loin de la maison, permet de produire l’huile nécessaire à l’alimentation de la famille.
Au petit déjeuner, le cacao consommé est récolté de quelques plants situés derrière la maison et transformé artisanalement. Le café est récolté à l’angle de la cours, grillé et torréfié selon les soins de la maison. Le lait maison est récolté du troupeau du ranch et pasteurisé sur place.
La viande pour le repas peut être un coq, un canard, une dinde ou une chèvre prélevée du cheptel de la concession. Le pain de campagne est fabriqué du four artisanal pour la famille et est souvent distribué aussi aux âmes vivantes aux alentours. Après l’installation de la reine, des personnes sont venues suivre son exemple et le village compte aujourd’hui près d’une centaine de ce type de personnes.
Le poisson est pêché dans le ruisseau à vingt mètres de la maison ou dans le fleuve noun. On a ainsi de quoi y vivre sans avoir recours aux produits manufacturés. C’est le fait principal de la philosophie existentielle de la reine Blanche : s’éloigner de l’artificiel, s’attacher au naturel.
Elle a décliné l’offre des bailleurs de fonds et des subventions pouvant permettre de mécaniser l’agriculture et produire à grande échelle. Car elle se demande si on peut parler véritablement de croissance lorsqu’on produit grand en ployant sous le poids des dettes ou en tronquant sa liberté d’action contre les contraintes des subventions.
Elle confie à une journaliste qu’elle n’aime pas les dettes : « Ce faisant je ne fuis pas la modernité, c’est elle qui me fuit parce qu’elle coûte trop cher… mais l’argent qui m’échoit en vendant mes récoltes, est loin de me donner un pouvoir d’achat suffisant pour me permettre de mécaniser mes travaux et vivre « décemment » selon les critères du monde occidental ».
Dans ce coin de terre isolé par rapport aux infrastructures modernes, la reine se charge de donner elle-même les enseignements à ses petits-fils. On se demande bien comment est-ce possible avec des enfants de différents niveaux. Cependant du primaire au secondaire, les enfants de sa famille vont présenter les examens nationaux (Cep, Bepc, Probatoire, Bac) en candidats libres et réussissent.
Elle considère que l’école occidentale contribue à l’acculturation de nos enfants. Pour la même raison, elle a renoncé à sa profession d’enseignant au lycée, après avoir exercé quatre ans seulement, choisissant de se consacrer à cultiver la terre et élever ses petits-fils.
Vie littéraire
Claude Njiké-Bergeret, comme le suggérait voltaire au 18è siècle, cultive son jardin en écrivant des belles lettres pour laisser connaître au monde et à la postérité sa philosophie. Elle a commis trois romans qui racontent chacun à sa façon, avec beaucoup de lyrisme sa vie, ses passions et sa philosophie de vie, le tout gravitant autour de cette recherche de l’équilibre entre l’homme et la nature.
« Ma passion africaine » publiée aux éditions Jean Claude Lattès en 1997, avec beaucoup de lyrisme l’itinéraire unique d’une femme d’exception qui voue son amour à une terre, le pays Bangangté, à l’homme, le chef, à une famille élargie et à un peuple. Mais plus, ce qui y transfigure de manière très émouvante, c’est la liberté de ton à travers laquelle la Reine Blanche propose au lecteur « un autre mode de vie et de pensée. Un modèle de tolérance ».
« La sagesse de mon village » chez le même éditeur, en 2000 est, selon l’auteure elle-même : « un simple témoignage de ce que j’ai vu et compris en partageant la vie de ma famille africaine ». Cette œuvre produite après trente-sept ans de vie à Bangangté, plonge Claude Njiké-Bergeret au cœur du grand questionnement philosophique, existentiel qui cherche à savoir si la somme de connaissances glanées au sein de la chefferie et dans la société africaine de Bangangté, l’aide à voir la vie différemment de ce que son éducation française lui a transmis, ou si elle est tributaire d’une double culture.
« Je parle Bangangté peut-être mieux que ma langue maternelle, ce qui me permet de saisir et d’apprécier sans doute, les motivations, les valeurs, les coutumes qui régissent la vie des habitants de cette région d’Afrique. J’y ai découvert une autre façon d’être qui m’a souvent émerveillé, parfois choquée, mais toujours permis de me remettre en question à tout moment ». in 4è de couv, « La sagesse de mon village », ed JC Lattès, Paris 2000.
« Agis d’un seul cœur » chez JC Lattès en 2009, opère une immersion dans l’univers de la civilisation bangangté pour extirper et mettre en exergue « des adages rappelant aux parents que l’enfant doit rester libre de choisir sa vie et sa route. Il en est qu’on répète toujours à l’enfant qui ne doute de la décision à prendre : « Agis d’un seul cœur », c’est-à-dire en accord avec toi-même ». Cela colle bien à la philosophie de la Reine Blanche et peut justifier son parcours.
Anecdotes
« On me demande souvent : pourquoi avez-vous arrêté d’enseigner au lycée ? Pourquoi ne pas avoir créé une plantation moderne et rentable ? Pourquoi à l’époque de la mondialisation, Internet, des voyages interplanétaires et de la course au progrès, vous mettez vous presque sur une voie de garage ? ».
A travers ces questions, je devine être un mauvais exemple, un frein même au développement puisque je ne fais pas fructifier les investissements consentis par mes parents et la société française pour mon éducation, en ne pratiquant et en ne transmettant pas ce que l’école m’a enseigné, parfois je me dis que certaines personnes doivent me regarder en pensant : « Quel gâchis ! ». Témoigne- t- elle dans une interview à la Crtv.
A toutes ces questions, les réponses tiennent à un seul fil conducteur : son attachement à la terre, mieux à la nature, satisfaire son ambition de retrouver l’harmonie avec la nature.
S’éloigner de l’artificiel, s’attacher au naturel. Elle a décliné l’offre des bailleurs de fonds et des subventions pouvant permettre de mécaniser l’agriculture et produire à grande échelle. Car elle se demande si on peut parler véritablement de croissance lorsqu’on produit grand en ployant sous le poids des dettes ou en tronquant sa liberté d’action contre les contraintes des subventions.
Lorsque vous rendez visite à reine Blanche, vous la voyez par exemple marcher nu pieds, à l’intérieur comme à l’extérieur. Elle se justifie : « C’est pour mieux communiquer avec la terre… ou la nature nous parle, comment percevoir les signaux que nous envoie la terre, si nos pieds portent une barrière (les chaussures) qui coupe le contact ? Ces signaux que nous recevons régulent notre santé et même notre vie. »
L’histoire de la reine Blanche comporte de nombreuses anecdotes qui révèlent sa forte sensibilité à la vie artificielle que nous menons dans les sociétés modernes par rapport à la vie liée à la nature. voici un témoignage d’elle :
« Un jour à Aix-en-Provence, pendant le repas, je raconte à mes deux fils serge et Laurent, qui avaient six et quatre ans, une histoire de pommier et je leur demande d’où viennent les pommes du magasin me répondent-ils en chœur.
Je réalise brusquement à quel point ils vivent coupés de la nature et je pense aussitôt à ce que je faisais et apprenais à leur âge. Projetée dans mon enfance, lointain mais doux à mon cœur, que je croyais pourtant avoir oublié, je me sens tomber dans le vide. Cependant, vers le monde de mon enfance, que j’amorce sans m’en rendre compte ce jour-là, va prendre des années et se fera en douceur, même si elle m’a coûté des nuits d’insomnies à me demander pourquoi j’agissais à contre-courant de mes ambitions.
Mon divorce deux ans plus tard est ainsi le refus d’une vie monotone… Ensuite, mon retour au Cameroun est un pur « hasard », mon mariage avec le chef, un désir incontrôlé de vivre avec un homme, mais aussi de découvrir un monde qui m’attire, celui de la chefferie, après la mort du chef, c’est un coup de foudre pour une nature qui m’interpelait et m’invitait à partager sa vie ».