ECONOMIE
La nouvelle monnaie annoncée devrait entrer en circulation l’année suivante. L’annonce fut diversement accueillie. Elle a très vite fait réagir les économistes, acteurs politiques et les spécialistes des questions monétaires. Si beaucoup ont souligné comme « historique » ce moment après 75 ans d’existence de cette monnaie coloniale, de nombreux observateurs pensent que cette annonce sans concertation avec les autres chefs d’Etat de la zone Cfa n’était qu’un changement de dénomination, et que le mécanisme de fonctionnement de la nouvelle monnaie ne variera point. Ces sceptiques avaient donc appelé à « rester vigilant » aux contours de la future monnaie, l’éco. Depuis cette annonce, 4 années sont passées sans que rien ne bouge, sauf les attaques contre le franc Cfa qui ne faiblissent pas.
Un jour jugé historique
« Le moment historique que nous vivons aujourd’hui fait écho à notre engagement pour le changement ! » s’exclame sur sa page Linkedin Kako Nubukpo, économiste togolais. Il poursuit : « Le passage du franc Cfa à l’Eco est une bonne nouvelle pour l’avenir des pays qui l’utiliseront ! Nous resterons tout de même vigilants sur la question du régime de change qui devrait bientôt être résolue, sa parité fixe étant transitoire», souligne-t-il.
Kako Nubukpo n’est pas n’importe qui sur ce sujet. Ses positions sur le franc sont connues ; elles lui ont fait perdre tour à tour son poste de ministre de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques au Togo en 2015, et celui de directeur de la francophonie économique et numérique au sein de l’Organisation internationale de la francophonie à la fin 2017. Il cependant poursuivi son combat. « Le Collectif Sortir du franc Cfa » se réjouit « de cette nouvelle historique ». Il ajoute : « Nous soutiendrons l’Eco si elle se fait avec tous les pays de la Cedeao ». Le Collectif dit malgré tout « désapprouver la manière dont les choses se sont effectuées. Il aurait fallu le faire avec la Cedeao » analyse Makhoudia Diouf pour Le Point Afrique. « Nous attendons donc la déclaration de la Cedeao avant de nous prononcer définitivement. Alassane Ouattara est un défenseur zélé du franc Cfa donc il n’a pas la légitimité ni la crédibilité pour décider de la future monnaie. Pour le président français, sa parole ne compte pas réellement pour nous ». Selon lui il faut comprendre que « le franc Cfa n’est pas totalement mort car la Cemac et le franc comorien sont encore là. Au lieu de faire des déclarations depuis Abidjan, Macron, pour prouver sa sincérité, pourrait signer un décret mettant fin à la zone franc ».
Le cœur du système
L’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, affirme que « non, le franc Cfa n’est pas mort. Macron et Ouattara se sont seulement débarrassés de ses atours les plus polémiques », tranche le spécialiste, coauteur avec Fanny Pigeaud de L’Arme invisible de la Françafrique. Une histoire du franc Cfa, publié en 2018. « Le cœur du système est bel et bien en place (Accord de coopération monétaire avec la France comme « garant » ; parité fixe avec l’euro ; politique de répression monétaire ; maintien d’une zone franc composée de pays qui commercent peu entre eux et qui logiquement ne devraient pas partager une même monnaie). Avec « leurs » réformes, Macron et Ouattara ont signé l’acte de décès du projet d’intégration monétaire entre les 15 pays de la Cedeao », écrit Ndongo Samba Sylla sur sa page Facebook.
Pour l’opposant ivoirien Ma- madou Koulibaly, il est « triste de constater encore une fois, que Ouattara a trahi les peuples ouest-africains qui voulaient s’offrir une bonne monnaie. L’Eco dans la Cedeao, il vient de voler le rêve d’intégration monétaire, en sacrifiant cet espoir à un vestige de l’esclavage qui a pris les avatars de la colonisation et qui, moribond, cherchait une source vivifiante pour rebondir », a réagi le président du parti Lider. « Je me suis demandé si Ouattara avait l’aval des autres pays membres de l’UEMOA pour faire ce qu’il a fait et si les autres pays de la Cedeao avaient donné leur accord pour que l’Eco soit reprise en main par la France qui va lui donner sa garantie avec une parité fixe contre l’Euro », s’interroge-t-il dans un échange avec Le Point Afrique.
Les statuts
Mamadou Koulibaly est connu pour son activisme sur la question du franc Cfa. Il avoue sa surprise quant à cette annonce qui n’a fait l’objet d’aucun débat parlementaire dans le pays. Selon lui, le droit n’a pas été respecté. « Dans des univers d’État de droit, une telle réforme ne se serait pas con- tentée de la signature de deux ministres. Car, ce qui semble avoir été modifié par les Ouattara et Macron à Abidjan, c’est la convention du compte d’opérations qui gère la domiciliation des réserves de change des pays membres de la Bcéao, la parité du franc Cfa, les garanties de convertibilité… Or, remettre en cause ce dispositif change les statuts de la Bcéao qui doivent être modifiés pour définir où et comment détenir les réserves de change et d’or des pays », poursuit par écrit Mamadou Koulibaly… Toucher à ces statuts remet en cause le traité de coopération monétaire entre la France et l’Union économique et monétaire ouest-africain. Qui dit traité, dit signature par les chefs d’État et de gouverne- ment et ratifications par référendum ou par les parlements. Ce que je veux dire, c’est que, si on n’a pas jugé utile de faire intervenir les chefs d’État et de gouvernement et les parlements nationaux, c’est parce que, en définitive, rien ne change. »